Pour ce deuxième épisode, je réponds à deux questions, l’une autour des violences policières et du traitement de l’affaire de Champigny (agente de police frappée en décembre dernier) et l’autre sur comment lutter ici contre le racisme tout en prenant compte le néo-colonialisme/impérialisme de la France. Spoiler : Panafricanisme
Le #3 sera enregistré en Haïti, donc n’hésitez pas à poser des questions (pour poser des questions c’est par ici) en lien.
Ambiance sonore
Alabama Shakes – Heartbreaker
Maboula Soumahoro et Aymeric Patricot dans un extrait de Ce soir ou jamaisdu 30 octobre 2015
Casey lors de la Table ronde “Identités féminines afropéennes face aux violences publiques” du 25 novembre 2017
Se dire féministe en étant femme au foyer c’est contradictoire non? Pourquoi les afrofems parlent toujours des mecs noirs qui sont avec des blanches ? C’est chaud si j’appelle mes potes blanc-he-s negro/négresse/nigga ? etc…
Petit échantillon des questions que l’on me pose sur mon CuriousChat, comme nous arrivons à la fin 2017, je me suis dit que ce serait utile de centraliser certaines de mes réponses. J’en ai étayé certaines n’étant plus contrainte par le nombre de caractères.
1. My Nigga, my nigga, my nigga
Point lexique. Je suis noir et j’ai tendance à appeler mes potes blanc.he.s “négro” ou “niggas” (négresse aussi mais très rarement, j’évite parce que je ne suis pas du tout à l’aise avec ce terme). Par contre je n’ai jamais appelé mes potes non-blanc.he.s de cette manière. Tu penses que c’est problématique et que j’ai un probleme à régler avec moi-même ?
Je ne suis pas psy, mais si un jour tes potes prennent la confiance, commencent à lâcher des negro/nigga et se font casser les jambes, il faudra aller les récupérer au sol aussi.
(Je vais utiliser le “vous” général à partir de là, pour m’adresser aux autres qui sont dans ton cas)
En général, je laisse les gens gérer leurs relations avec leurs potes comme ils le veulent. Si ça ne vous gêne pas à titre personnel, soit; il faut juste bien préciser que cela ne s’applique qu’à vous, qu’ils n’aillent pas déranger autrui avec: “Mais mon pote noir il le dit tout le temps et il me laisse dire negro”.
Parce qu’il faut être conscients que dans cette configuration, c’est vous les fameux “ami.e.s noir.e.s” dont les racistes parlent. Vous prenez le risque d’être les même ami.e.s noir.e.s que ceux de Morano et de donner de la force à des personnes pas noires sur votre propre communauté.
Si vous êtes à l’aise avec ça, vous n’avez pas forcément de problème à régler avec vous même, juste admettre que vos délires/habitudes avec vos ami.e.s pas noir.es sont plus importants pour vous, que c’est plus important que de penser aux conséquences pour les autres Noir-e-s, au poids historique qui recouvre ces mots pour lesquels les vies des nôtres ont été piétinées.
A titre personnel: en tant que Noire haïtienne, je ne donne jamais à aucun individu des passe-droits, pour aller prendre la confiance avec d’autres Noir.e.s en pouvant m’utiliser.
“Just know I’m down with the niggas down for me
I got two words for you, love and loyalty”
2.Mais qui s’occupe des enfants ?
J’avais lu quelque part qu’en tant que femme active, si tu emploies une nounou, ça va à l’encontre du féminisme. Je ne crois pas avoir compris en quoi (ça priverait la nounou de s’occuper de ses propres enfants d’après l’explication avancée). Le saurais-tu ?
Je vais supposer que l’on parle ici de prendre des nounous à temps-plein (ou presque: pas pour la crèche, ni les sorties ciné ou autres)
Il s’agit d’analyser à qui revient le travail du care, et l’égalité entre les femmes. Vu que l’on parle de nounous qui viennent faire en sorte que d’autres femmes puissent investir le marché du travail, cela pose la question de la répartitions des tâches dans le couple hétérosexuel (car si il n’y a pas de nounou, c’est souvent la femme qui ne va pas travailler), le fait qu’on ait besoin de vendre sa force de travail en plus d’utiliser celle d’autrui, et de la non prise en charge collective de la reproduction sociale : pourquoi il n’y pas plus de crèches ?
On peut aussi voir le problème sous l’articulation “race, genre et classe” : il suffit de se promener dans les parcs des grandes villes pour constater que ce sont majoritairement des femmes racisées (beaucoup de femmes noires) qui s’occupent des enfants blancs. L’image de la femme noire prenant soin des enfants des autres mais pas des siens est construite historiquement depuis l’esclavage.
On peut se aussi demander: “Qui s’occupe des enfants de ces femmes? Pourquoi dans les couples employeurs, les hommes ne s’occupent pas des enfants ou du ménage (car souvent on leur demande aussi de faire à manger et le ménage) ?”
On voit bien ici, que pour “régler” la question du travail domestique et du soin des enfants au sein du couple, on fait appel à des femmes plus précaires pour ajuster les inégalités au sein des couples qui en ont les moyens.
Je n’arrive pas à saisir comment on peut se qualifier de féministe en étant femme au foyer, donc sans revenu, et dépendant financièrement de son mari (donc de ses humeurs de son bon vouloir) En gros, peut-on être féministe et dépendre de l’homme? Le pilier du féminisme n’est-il pas l’indépendance? Je sais que c’est la liberté de choix qui en est l’essence, mais choisir d’être dépendante d’un homme, en tant que féministe, c’est pas contradictoire?
On peut poser le choix entre être dépendante d’un mari ou d’un patron, mais dans la réalité, les femmes sont souvent dépendantes des deux. Établir une contradiction entre le fait d’être femme au foyer et féministe renvoie à plusieurs choses :
– Ne pas avoir de considération pour le travail domestique et de reproduction sociale qu’effectuent les femmes au foyer. Ce travail crée de la valeur dans le cadre d’un couple et pour l’ensemble de la société.
– Considérer que le travail est une voie d’émancipation féministe. C’est une vision extrêmement libérale et bourgeoise du féminisme. Il faut rappeler que la grande majorité des personnes ne vont pas vendre leur force de travail pour le plaisir. Les femmes racisées sont surreprésentées dans les domaines du nettoyage, du soin, du textile. Je ne pense pas que le SMIC durement gagné puisse leur permettre de jouir d’une indépendance. La narrative d’épanouissement par le travail/la carrière, se pose pour les personnes dans des professions valorisées socialement, stimulantes ou qui relèvent d’une passion. De plus, les couples qui peuvent vivre avec un seul salaire sont de plus en plus rares; les femmes travaillent à l’extérieur mais continuent de faire autant de travail domestique. Les couples composés de personnes racisées sont d’autant plus co-dépendants vu que les deux membres du couple peuvent être discriminé.e.s pour accéder à l’emploi mais aussi dans le salaire.
– Le coeur de l’afroféminisme (dans sa compréhension révolutionnaire), c’est l’abolition des systèmes de racisme, de patriarcat et de capitalisme. Cela passe par l’analyse du fait que la dépendance économique des femmes dans le couple est organisée par l’Etat bourgeois patriarcal. Les femmes, notamment les femmes racisées, sont assignées aux emplois les plus précaires et sous-payés. Notons aussi que le racisme et le cissexisme font que certaines femmes sont exclues du marché de l’emploi et renvoyées de ce fait à la pauvreté ou l’économie informelle criminalisée.
– La question de dépendre d’un homme ne se poserait pas si au lieu d’organiser notre dépendance au salariat pour pouvoir vivre, on organisait notre société autour de la solidarité et la répartition du pouvoir politique, économique et social pour notre bien être à tout.e.s. Le couple peut être un lieu de rapport de domination, loin de la version romancée par la mise en scène moderne et libérale de l’hétérosexualité.
À titre personnel, je n’aurai aucun mal à ne pas aller travailler pour un salaire. Pour cela, il faudrait que je sois avec un homme qui ne confond pas: “payer les factures” et “m’avoir à disposition”. Le problème, réside souvent ici: dès que la personne paye les factures, elle pense pouvoir régir votre temps, vos activités, et vous demande une attitude de gratitude. En somme, la même chose que fait un patron avec votre salaire.
Que peut-on répondre aux personnes qui disent que le terme “islamophobie” n’est pas bon, étant donné que son étymologie signifie “peur de l’islam” et qu’on a le droit d’avoir peur ?
Ne pas entrer dans ce débat. Parler d’étymologie est une diversion pour ne pas aborder la matérialité de l’islamophobie. Refuser ce débat permet d’aborder les questions essentielles : comment se manifeste l’islamophobie ? Quels imaginaires l’islamophobie mobilise ? Comment la combattre ?
Vous pouvez aussi renvoyer au livre “Islamophobie: Comment Les Élites Françaises Fabriquent Le Problème Musulman” d’Abdellali Hajjat & Marwan Mohammed
5. Les afrofems, toujours dans les problèmes
Un article montre la logique des afrofems qui ne datent quasiment que des Blancs mais reprochent aux Noirs de le faire ?
Je pense que ce qui est reproché n’est pas les dates, mais les discours sur ceux-ci. Le discours de justification de sa “préférence” pour les blanches en accusant une défaillance/ valeur moindre des femmes noires, n’est pas anodin.
Il n’y a pas un discours public répandu de femmes noires (afrofem ou pas) en couple avec des blancs qui dépensent de l’énergie à expliquer “tout est noir sauf nos mecs”.
6. Vous avez dit babfem ?
Pourquoi parle-t-on de “white” ou “black” feminism ? Quand on prône le féminisme, quelles sont les différences?
Le blackfeminism/afroféminisme est un mouvement politique dont le principal sujet est la femme noire qui pense en particulier l’articulation des systèmes d’oppression que sont la négrophobie, le patriarcat et le capitalisme. Toutes les femmes noires féministes ne sont pas afroféministes. Et non, les blanc.he.s ou racisé.e.s non noir.e.s ne peuvent pas être afroféministes.
Le white feminism/ féminisme mainstream ou blanc est une dénomination négative pour désigner un type de féminisme ethnocentrique, libéral et impérialiste. Qui cherche à mettre les femmes blanches de classe moyenne et supérieure au même niveau que les hommes blancs de classe moyenne et supérieure tout en défendant les intérêts impérialistes des pays occidentaux. Ceci passe par des discours de féminisation du capitalisme, utilisation du féminisme à des fins impérialistes et racistes et soutien au renforcement de la police et des politiques carcérales. Le “féminisme blanc” ou dit “hégémonique” est pratiqués” majoritairement par des femmes blanches mais pas que: il y a aussi des femmes blanches qui sont dans du féminisme révolutionnaire.
7. Liberté, Égalité, Beyoncé
On est obligé.e de vouer une admiration sans borne à Beyonce et Rihanna pour être afrofem ?
Euh, c’est quoi cette légende urbaine? Will need the receipt for that.
L’afroféminisme arrive à produire des analyses qui montrent qu’il y a un traitement misogynoiriste de ces deux artistes: Les critiques portent rarement sur leur musique mais sur le fait qu’elles soient trop dénudées, vulgaires, qu’elles n’aient pas une bonne représentation et caetera ou leur reprocher des choses qui ne sont reprochées ni aux Blanc.he.s ni aux racisé.e.s non Noir.e.s. Il y a des critiques qui existent sur ces artistes et leur statut (surtout leur place dans la bourgeoisie) sans être basées sur la misogynoir; donc oui, la pensée critique est possible, et c’est souvent des afroféministes, blackfeminists qui produisent ces critiques.
8. Intersectionnalité, salade de fruit
Je suis très choquée par tes positions ouvertement spécistes. Il faut articuler les analyses sur la classe, la race et l’espèce pour lutter contre le système. Et je ne comprends pas cette haine que tu as envers les afrofems antispécistes
Ai-je même le temps d’avoir de la haine pour un “mouvement politique” aussi bancal ? J’ai un désaccord politique, indépassable. Je n’ai pas dit quel’antispécisme ne devrait pas exister, j’ai dit et je maintiens qu’il n’a rien à faire dans l’intersectionnalité. Je rappelle que l’intersectionnalité est un outil d’analyse, c’est ni un mouvement, ni un club d’échecs. Cet outil pense l’articulation des systèmes d’oppression sur LES HUMAIN.E.S.
Les sujets politiques de l’intersectionnalité sont des humains, plus précisément les humain.e.s racialisé.e.s
9. Déconstruire qui, quoi, comment
Est-ce que tu sais d’où vient le terme de “déconstruction” ? Et qu’est-ce que ce terme t’évoque ?
Comme on parle de construction sociale, on parle de déconstruction pour le processus inverse. Ça n’évoque pas un truc de ouf pour moi, c’est bien de déconstruire mais tout n’est pas déconstructible. C’est aussi un processus très individuel “je suis en phase de déconstruction” super, mais après que cela soit fait, ça change quoi concrètement aux conditions matérielles d’existence des groupes opprimés ?
Donc ce n’est pas tout d’être déconstruit, il faut pouvoir affronter le monde avec une stratégie pour défaire les systèmes, et cela passe par l’organisation politique collective.
10. Men are trash, mais pourquoi elles restent ?
Tu penses quoi des femmes qui restent avec leur mecs alors qu’elles savent qu’il les trompent, et de celles qui fréquentent un mec tout en sachant qu’il a une meuf?
On doit arrêter avec cette vision romancée du couple. Le couple est un espace où des rapports de pouvoir se jouent aussi.
Déjà, il y a des situations où, techniquement, la personne ne peut pas partir, pour des raisons économiques, sociales, psychologiques etc il ne faut pas l’oublier; donc des choix sont fait en fonction des conséquences possibles. Je mets aussi dans ces cas les personnes qui souffrent de dépendances affectives, ou en couple avec des pervers, narcissiques, manipulateurs etc.
Certaines restent par intérêt stratégique bien réfléchi, ça peut être le statut social, ce que le couple représente etc. C’est un choix comme un autre. Lucide et pragmatique, on est pas obligé d’investir le couple pour l’amour, les femmes font aussi preuve d’agentivité en calculant ce qu’elles peuvent ou pas supporter.
Idéalement, l’objectif dans la vie, doit être d’être heureuse, tranquille… pas d’être amoureuse à tout prix, mais c’est plus compliqué et on est pris.e.s dans plein de contradictions. On ne peut pas faire comme si c’était facile, cool et joyeux d’être célibataire dans une société qui est obsédée par le couple et l’amour. La pression d’être en couple repose sur les femmes, et ça influence beaucoup sur l’énergie qu’elles mettent à faire tenir le couple. Ajoutez à ça tout le fantasme autour du couple, la confiance en soi. La société aidant: Les hommes sont plus enclins à faire moins d’efforts en attendant que le couple leur apporte en terme de confort, tandis que les femmes (largement socialisées) attendent la validation d’un homme, d’être la femme de quelqu’un, et saupoudrez le tout de la dichotomie femme/pute.
Pour les femmes qui fréquentent des mecs en couple, ce n’est pas leur problème. Elles n’ont pas signé d’accord de fidélité avec des femmes qu’elles ne connaissent pas, et n’ont pas à s’occuper de la confiance/honnêteté d’un couple dont le mec se fout. Leur problème serait de croire aux mensonges du mec et mettre leurs vies en pause pour attendre quelqu’un qui a tout à gagner dans cette situation en pensant que ça pourrait déboucher sur autre chose.
Les mecs masterisent dans le mensonge et le flou concernant ce qu’ils veulent. Ils vont te sortir des “je suis perdu” “on est en train de se séparer”… alors qu’ils sont en train de faire un prêt immobilier avec leurs gos.
Avant de sauter sur les conclusions: Non, la non exclusivité/polyamour/polygamie ne sont pas les solutions miracles, ce sont juste d’autres formes de problèmes/ mises en compétition/ positions de pouvoir… surtout avec des mecs cis-hétéros !
11. Tu es plus claire que qui ?
La dépigmentation, le défrisage et le port du tissage chez les noirs sont dûs à quelles raisons et disparaîtront-ils ?
Là, il y a beaucoup de choses différentes mélangées. Les gens font ce qu’ils veulent avec leurs cheveux. Il y a les raisons historiques négrophobes du lissage par défrisage, cette pratique est en très forte baisse. De plus en plus de personnes Noir.e.s optent pour des options qui n’altèrent pas chimiquement leurs textures de cheveux, comme les tissages. Les Noir.e.s ont atteint un niveau supérieur de créativité avec leurs cheveux, qu’ils poussent sur leur tête ou qu’ils soient achetés. En 2017, il est important de quitter les débats analysant le degré d’aliénation par le style capillaire, surtout dans dans une communauté où on peut avoir des front lace 26 pouces le lundi et être en afro le samedi. Dans un monde négrophobe/coloriste, le fait d’être plus clair.e apporte des avantages en terme d’estime de soi et dans certains contextes, des positions sociales voir économiques plus intéressantes (stratégie maritale).
Ce ne serait pas aussi répandu si il n’y avait pas des avantages. Au-delà du discours “black is beautiful”, il faut reconnaître que les NoirEs plus clair.e.s dans les pays majoritairement noirs bénéficient de privilèges qui se traduisent en positions sociales, possibilités maritales, reconnaissance etc.
En France, ça se joue beaucoup plus dans les sphères familiales et affectives, où le colorisme est très présent depuis le jeune âge, ce qui ronge la construction de la confiance en soi.
Pour éliminer la dépigmentation, il faut éliminer les avantages que les personnes peuvent en tirer. La fin de la négrophobie et du colorisme qui en dépendent. Commençons par dénoncer dans nos familles et nos cercles d’ami.e.s les remarques, moqueries, représentations (media, films, clips…) coloristes que ce soit sur la carnation, la texture de cheveux ou sur les phénotypes (notamment le nez).
On vit dans un monde où les canons de beauté ont des conséquences sur la vie des personnes. Rien ne sert d’accabler ou de faire la leçon à celleux qui se dépigmentent la peau, surtout si vous êtes des noir.e.s clair.e.s de peau.
Bonus surprise : Je compte lancer un mini-podcast de 10 minutes maximum, j’y répondrai désormais à certaines questions posées sur mon CuriousChat, voir plus si affinité. Il ne me reste plus qu’à trouver un nom.
Être une activiste afroféministe s’inscrivant dans l’anticapitalisme est un exercice à double emploi, notamment en matière de pratiques militantes. Il s’agit d’une part, de défendre ses activités contre les attaques réactionnaires teintées de mépris et de l’autre, de continuer à développer des critiques constructives pour faire avancer nos luttes.
La notion d’espace “safe” ne peut échapper à ces critiques.
Un espace safe, ou espace sécuritaire en bon français, vise à l’élimination de la violence dans les interactions entre les membres ; notamment ceux appartenant à des groupes sociaux marginalisés dans la société. Mais est-ce vraiment possible ?
La violence règne sans ambiguïté, et de manière hégémonique, partout dans la société. Les groupes Facebook, forums ou espaces se définissant ou se voulant “safe”, même avec toutes les dérives libérales, ne peuvent ainsi pas retirer un “droit” à des personnes ayant des propos violents ou oppressifs. Ces derniers vont pouvoir continuer à les exprimer, les entendre, les lire et les partager en ligne, au travail, dans l’institution scolaire, dans les médias, le gouvernement, ou dans la rue.
Chaque semaine, je vois passer statuts et tweets de personnes qui se disent déçues du militantisme. Ce qui est normal quand on approche la chose comme une bulle. Mais le milieu militant, comme le monde du travail, la famille, les groupes d’ami·e·s, n’est pas une bulle en dehors de la société. Il est traversé par des conflits d’intérêts, des rapports de pouvoir et plus important : Ce sont des êtres humains qui le composent. Parfois (pas souvent), on arrive à une résolution politique des conflits, parfois (trop souvent) on politise des conflits qui sont personnels.
Personnellement, je pense qu’il est très important de pas confondre ami·e·s et camarades de lutte (j’utilise ici le mot camarade, même si ça fait gauchiste, pour éviter la confusion avec les terme sœurs/frères qui sont beaucoup utilisés dans les milieux militants décoloniaux), et ce même quand une personne peut être les deux pour vous. J’ai des ami·e·s qui sont également des camarades, mais je sais dans quel contexte ces personnes sont des camarades car nous militons dans des collectifs ensemble. Et dans ces collectifs, un certain nombre de choses (le vote, la prise de parole, l’agenda politique) pose des cadres à nos interactions, et permettent aussi que je sois camarade avec des personnes qui ne sont pas mes ami·e·s et qui ne sont pas voué.e.s à le devenir. J’ai des ami·e·s qui ne sont pas des camarades, qui ne sont pas politisé.e.s et nous le vivons très bien aussi. J’ai des ami·e·s qui sont politisé.e.s mais pas militant.e.s avec qui on peut se retrouver dans des espaces militants.
Dans le cadre du processus de #LiberAction visant à corriger les erreurs factuelles, les déformations et insinuations douteuses du dernier dossier « antiracisme » de Libération, nous avons décidé de réécrire tous les articles. Le portrait de Fania Noël, paru dans le dossier du 4 avril 2016, a ici été retravaillé. Le choix a été fait de ne pas donner de détail sur son physique, sa tenue ou sa coiffure car c’est définitivement son positionnement politique qui nous intéresse.
Avant de s’engager avec Mwasi, l’afroféministe avait claqué la porte de plusieurs mouvements. Car contrairement à eux, elle voulait “l’abolition du système de domination et pas seulement sa réforme”.
Sur son carnet, un sticker avec une citation d’Assata Shakur (militante afro-américaine exilée politique à Cuba, membre du Black Panther Party et de la Black Liberation Army) : “Personne dans le monde, personne dans l’histoire n’a jamais obtenu sa liberté en faisant appel au sens moral des gens qui les opprimaient.” Fania Noël, 28 ans, l’aînée (la seule ayant fait des études universitaires) d’une fratrie de six est née en Haïti et a grandi à Cergy (Val-d’Oise). Son père, retourné par lassitude dans son pays d’origine, a eu différents boulots dans la restauration. Pour décrire ses maladies à répétition, elle cite Foucault : « c’est le pouvoir qui s’est inscrit dans son corps. »
Depuis quelques semaines, la polémique enfle autour du projet de camp d’été décolonial porté par Sihame Assbague et Fania Noël. En cause, la non-mixité politique de l’événement, choisie et revendiquée par les militantes. Après avoir essuyé de nombreuses critiques et attaques diffamatoires, et pour répondre aux nombreuses interrogations des premiers concernés, elles se sont lancées dans la rédaction d’un dialogue fictif avec elles-mêmes.
Pourquoi déjà avoir choisi de créer ce camp d’été décolonial ?
L’idée de ce camp est née d’un échange sur la nécessité de multiplier les espaces de transmission, de rencontres et de formation politique. Il en existe déjà ; ils font écho à une longue tradition d’organisation autonome des immigrations et des quartiers populaires. Les anciens, comme notre génération d’ailleurs, n’ont jamais attendu qu’on vienne les sauver. Ils se sont engagés, ont milité et résisté sur tous les fronts. C’est important de rappeler ça car tout militant est l’héritier de luttes passées et même en cours. On connaît très mal cette Histoire, on en sait très peu sur ces luttes et leurs enjeux. Du coup, l’un des objectifs du camp d’été c’est justement de se réapproprier tout ça. Il s’agit également de poser des termes sur ce que nous vivons et de partager méthodes et savoirs, qu’ils soient théoriques ou pratiques. En tant que militantes autodidactes, nous savons à quel point certains concepts ou certaines techniques peuvent paraître abstraits, complexes, etc…et puis, de manière générale, on a toujours besoin de creuser ce que l’on croit savoir (nous les premières), de se confronter à d’autres pensées, d’autres prismes, d’autres réalités.
Après le dossier de Libé sur l’antiracisme, des pendules devaient être mise à l’heure c’est ce qu’on à fait avec Sihame Assbague :
Politisés et impertinents, actifs sur les réseaux sociaux et remontés contre la gauche des droits de l’homme (mais pas qu’elle)… la génération post-Touche pas à mon pote, née de l’immigration, clive et suscite l’inquiétude des antiracistes universalistes & du pouvoir blanc. Libération, qui lui consacrait un dossier spécial ce lundi 4 avril 2016, s’étant royalement planté, nous corrigeons ici ses erreurs. Sans rancune Libé mais la prochaine fois qu’on doit faire le taf, payez-nous au moins 🙂