Pré-requis : Si vous ne savez pas ce qu’est le Black Love, lisez l’article de Nothing but the Wax. Au fait, c’est quoi le Black Love ?
Quel meilleur moment que la saison des “unpopular opinion” pour aborder les sujets qui fâchent ? Depuis un peu plus d’un an, la communauté Afro (notamment en ligne) promeut le Black Love à travers des podcasts, la visibilité de couples, des projets visuels ou encore des récits. Au milieu de cet océan d’amour, ce qu’on ne dit pas c’est que, vous, oui vous les promoteur.e.s du Black Love vous saoulez tout le monde.
Vous saoulez les personnes blanches et racisées avec vos histoires de célébration de l’amour entre noir.e.s. Les communautés non noires regorgent de personnes persuadées que l’objectif premier de toute personne noire est de finir en couple avec une personne blanche ou racisée non noire, afin de peupler la terre de bébé métisses (si possible ambigus racialement). Le couple mixte offre aux femmes noires hétérosexuelles la promesse d’un saut qualitatif dans nos existences : on peut toutes trouver notre Prince Harry.
Certaines catégories de femmes blanches semblent particulièrement agacées lorsque ce sont des hommes noirs qui promeuvent le Black Love. Mais cet agacement n’est que temporaire, car elles savent bien qu’à la fin de journée elles pourront se réconforter sur le compte twitter de @NoirSombre1m87 et ses tweets sur les “noirtes”.
Vous saoulez les personnes noires en couple avec des personnes non noires (et particulièrement avec des blanc.he.s). D’après le récit national : les médias, la publicité, l’équipe de France de Football, Châtelet-les-Halles… Le couple Kim et Kanye, le mariage de Samira Wiley, etc. représentent ce qu’une personne noire peut espérer de mieux niveau vie privé. D’ailleurs, ces personnes vont jusqu’à faire des routines matinales spécial couples mixtes ; preuve qu’ils sont au-dessus. Et la victoire finale est proche, en atteste Princess.. Duchesse Meghan.
Vous ne pouvez pas venir ébranler cette certitude forgée depuis l’enfance, parfois dans nos propres familles. En plus, leurs partenaires n’y sont pour rien pour ce qui est du racisme, au contraire : leur couple participe à l’enrayer (le bilan reste mitigé mais prometteur). Même parmi celles et ceux qui ne voient pas dans leur couple mixte un accomplissement, toutes vos célébrations gênent. Et puis… Pourquoi mettre la race dans tout ? Surtout dans les cas de couples mixtes formés d’une personne noire avec une personne racisée ?
Peu importe que dans toutes les communautés le mariage au sein de cette dernière est valorisé et respecté et que pour leur famille il vaut mieux être avec un.e Blanc.he.s qu’avec un.e Noir.e.
Vous saoulez les hoteps. Vous aussi avec vos affaires de Black Love souvent mêlées avec des discussions sur les masculinités noires, de Black love pas que pour les cis-hétéro, de Black Love pour des relations épanouissantes émotionnellement et sexuellement !
It”s too much!
Le monopole que ces derniers avaient sur le concept de famille noire, de couple noir, de la FÂME noire (il n’ y en a qu’une seule) est maintenant ébranlé avec vos demandes fantasques ! Quant à vous, les afroféministes, après avoir conduit le complot pour émasculer l’Homme Noir (disponible en un seul modèle également), vous voulez maintenant le marier dans un couple qui ne soit pas basé sur votre capacité à tout endurer ?! Mais quelle AUDACE !
Vous saoulez les personnes noires militantes radicales en couple avec des personnes non noires (et particulièrement avec des blanc.he.s). (full disclosure : I was there)
“Tout est politique”, une phrase qu’adorent les militant.e.s. Mais lorsque ces dernier.e.s sont en couple avec une personne non noire, il semblerait que questionner leur choix matrimonial ne rentre pas dans ce fameux “privé est politique”.
C’est l’amour ! Peu importe que l’amour soit un des produits de notre environnement (raciste, hétéro-patriarcal et classiste) et que des personnes soient marginalisées, exclues de ce merveilleux marché de l’amour romantique.
Surtout que ces militant.e.s sont avec des personnes non noires “safe”, “woke” (le profil type est un.e militant.e.s noir.e avec une personne non noire – souvent blanche – chercheur.e, doctorant.e. Artiste, etc.). Et il faut l’avouer : leurs partenaires blanc.he.s ne font pas de vague et restent à leur place. On parle ici de personnes militantes, qui mettent énormément d’énergie dans la lutte pour l’émancipation des personnes noires, qui ne font pas la promotion de leur couple mixte (surtout lorsque la femme est noire) ou du métissage, etc.
L’argument le plus entendu (du côté des femmes hétérosexuelles), c’est que les hommes noirs en France sont portés vers les femmes non noires et même qu’ils sont dans le dénigrement public des femmes noires, surtout celles qui sont militantes. Ce qui est un fait. Mais cela n’explique pas tout, car il y a la même tendance chez les personnes noires queer militantes avec le même schéma de couple (un.e militant.e noir.e avec une personne non noire – souvent blanche – chercheure, doctorante. artiste, etc..).
Les militant.e.s sont un groupe démographique qui fait souvent des choix contraignants dans son mode de vie : régime alimentaire, boycott de certains produits/ lieux, support des entreprises Afro, cercle d’ami.e.s militant.e.s, etc.
Pourquoi alors lorsqu’il s’agit de choix amoureux, il n’en est pas de même ? Parce qu’on a tou.te.s besoin d’amour, et que ne pas politiser la question raciale dans le choix du/de la partenaire permet d’en trouver un.e plus facilement car un “marché” existe pour cela.
En effet, les militant.e.s politisent le choix de leur partenaires, sur beaucoups d’autres aspects. La réalité est qu’il y a un “marché” dans les pays du Nord, composé de personnes non noires – en majorité blanches – qui sont par leur parcours militant et/ou d’études, compatibles avec les personnes noires militantes (radicales sur la question noire) et qui cherchent justement à être en couple avec les personnes noires militantes. Il faut être très lucide sur le fait que dans le couple, c’est la personne non noire qui tire le plus de bénéfices symboliques (que cette personne le veuille ou non) de cette relation, surtout si cette personne est dans un milieu militant, où son couple va pouvoir de manière implicite lui apporter de la crédibilité ; c’est le jackpot pour les personnes non noires qui travaillent sur les questions noires : crédibilité et validation.
Cela ne fait pas de ces personnes des mauvais.e.s militant.e.s ou des mauvais.e.s noir.e.s. Seulement des personnes qui font un choix, là où pour d’autres, être avec un.e partenaire de la même communauté qui partage les mêmes convictions est un point important (et cela, sans passer leur temps à dénigrer les personnes des autres communautés *suivez mon regard*). Ce sont des personnes noires pour qui partager la même expérience raciale ou construire une famille noire ne sont pas des critères de choix principaux pour un.e partenaire.
Cela demande de faire un exercice de pensée contre soi-même pour comprendre comment on peut être militant.e sur les questions noires avec des positions radicales, et avoir majoritairement dans son histoire des relations amoureuses avec des personnes non noires. Il faut faire cette démarche réflexive sur l’environnement où l’on a évolué, qui a façonné nos goûts, nos attirances et reconnaître que dans un monde qui n’apporte aucune valeur aux vies Noires (aussi bien les personnes, que les communautés et les familles) nos choix matrimoniaux s’inscrivent dans cette continuité. Il faut admettre que nous ne sommes pas des concepts, ni des idéaux-types ; nous sommes traversé.e.s par des contradictions complexes, il faut les admettre et pouvoir vivre avec en étant honnête avec soi-même. On rappelle que personne ne doit de justification sur sa vie privée à autrui.
Il ne sert à rien de tourner le problème dans 56 sens. Oui, être en couple avec une personne non noire quand on est militant.e.s sur les questions noires, c’est une contradiction. Contradiction ne veut pas dire hypocrisie, traîtrise ou invalidation ; cela signifie simplement que l’on est un être humain.
Et être dans cette situation ne devrait pas empêcher de voir que le Black Love est politique et qu’il porte un projet politique subversif, qui n’est pas un projet totalitaire qui s’applique à tout le monde, ni qui invalide les autres couples.
Vous saoulez toutes les personnes qui ont ressenti une petite joie en voyant le titre de ce billet et plus encore en voyant que j’en suis l’auteur.e et qui ont eu la joie de pouvoir trouver des arguments à moindre coût, la perspective merveilleuse de pouvoir l’utiliser en citation lors d’un débat sur Facebook, ou encore mieux, pour envoyer l’article à une personne noire qui défend le black love (stratégie type : “C’est même pas moi qui le dis, c’est une nwar, en plus afroféministe”).
Vous saoulez tout le monde, mais c’est ça qu’on aime.
Black Love vie.
Fania N.