Culture
Entretien pour Afropéa
Retrouvez mon entretien avec Marie-Julie Chalu sur Afropea
Extrait “On peut faire des recherches identitaires qui ne sont pas des projets politiques et ce n’est pas grave. Je pense que le problème c’est qu’on veut dire que quelque chose est politique pour avoir une légitimité. Ça dessert à la fois la chose à laquelle on veut donner de la légitimité parce que c’est facilement critiquable et démontable et ça dessert le fait de faire de la politique. Les quêtes identitaires (identity politics) ne sont pas un projet, programme politique, ne mobilisent pas politiquement. Les seules fois où s’est utilisé dans ce sens, ça se termine extrêmement mal. Afropéen, afro-français, whatever, l’expérience humaine est complexe, individuelle. En tant que militante noire radicale, je veux sortir de ces concepts de la suprématie blanche qui nous essentialise. Je ne suis pas toi, tu es différente de moi. J’ai un vécu différent. Politiquement je me définis comme noire parce que ça m’aide à construire une organisation politique mais si dans ma vie personnelle, je veux me dire haïtienne, cela n’a pas besoin d’un débat public. Le débat c’est quelle est ma situation matérielle en tant que noire ici qui se rapproche de la condition matérielle de plein de gens qui partagent la même histoire de violence que moi et qu’est-ce qu’on fait pour ça ?”
photo : Gael Rapon
Killmonger ou la confusion entre libération et hégémonie
Avant-propos : Comme toute oeuvre de fiction, ce qui est produit dans Black Panther est du super materiel pour discuter des points politiques, critiquer les messages etc.. même si les oeuvres cinématographiques n’ont pas pour vocation de faire la révolution(donc épargnez-moi les ” ouiin produit par des blancs ouinn ouinn” personne vient vous faire chier devant la LDC, GoT ou vos podcasts de France culture sur des oeuvres obscures. )
***Spoilers ****
Killmonger est le produit des névroses occidentales, la conséquence du fait de vivre en situation de minorité et d’altérité sous la violence constante du racisme. Être dans un pays, être du pays mais s’y voir réfuser le droit d’en faire partie dans le respect de sa personne. Ne pas avoir d’espace pour déployer toute la complexité de son être, être toujours trop, toujours EN trop, tout en étant jamais assez couleur locale.
Nous vivons dans une relation d’intimité continue et constante avec ceux qui font de nous “les autres”, dans une guerre constante pour la légitimité de notre place.
Dans le contexte de Killmonger, contexte où “Tous les noirs sont des hommes, et toutes les femmes sont blanches” d’où le contraste avec Wakanda.
La façon dont Killmonger traite les femmes noires donne un tres bon aperçu de sa politique, quoi que dise son discours prétendument radical.
” je ne peux pas croire ce que vous dites, quand je vois ce que vous faites”. Baldwin
Killmonger est le seul homme noir du film à assasiner et violenter des femmes noires. Aucun wakandais homme n’a ce genre de rapport avec les femmes noires, bien au contraire (scene Okoye et W’Kabi). Cet homme qui se dit défenseur de la cause Noire met une balle dans la tête de sa partenaire sans sourciller, tranche la gorge d’une combattante avec un plaisir certain, aurait tué sa cousine et étrangle une ainée responsable d’une partie sacrée du pays dont il est censé être le souverain.
La facilité avec laquelle on peut fermer les yeux sur des comportements aussi violents du moment qu’il a brodé trois trucs “radicalitay”, doit poser la question sur notre bienveillance vis-à-vis de la violence quand il s’agit de certaines populations ( femmes noires) vues comme figures sacrificielles.
T’Challa a tort sur beaucoup de points ( comme son pere) mais au moins il traite avec respect et dignité les personnes de son peuple. Il n’a pas de discours pour tous les Noir-e-s, mais les corps Noirs avec lesquels il interragit ne sont pas humiliés, n’ont pas vocation à être soumis. La façon dont il traite Killmonger lors de la scene finale est sûrement le plus bel acte de #BlackLove.
Killmonger n’hésite pas a reproduire les mêmes techniques que les occidentaux : la destruction de pans de la culture africaine pour asseoir son pouvoir. Tout un symbole qu’un homme noir ayant grandi aux Etats-Unis, ayant tué des centaines de personnes en Irak, en Afghanistan, en Afrique (il dit lui même ses propres frères et soeurs) ait pour premier acte en tant que roi la destruction de ce qui permet de garder le lien avec les ancêtres.
“Les outils du maitre, ne détruiront pas la maison du maitre”. L’importation de la terreur, du peu de respect pour la vie des siens, de la facilité à la guerre est une réplique du régime de la terreur instauré dans le monde par les occidentaux.
Killmonger vient en pur savior, alors qu’au sein même de Wakanda, par la voix de Nakia, les divergences politiques s’expriment sur le rôle de Wakanda dans le soutien aux autres peuples Noirs.
Il faut une intervention de l’OTAN à coup de bombes pour instaurer sa vision de la justice sociale.
Je pense que ce n’est pas étonnant que ce soient en majorité des personnes noires vivant dans des pays en majorité blanche qui sont #TeamKillmonger, alors que la plupart des personnes vivant dans des pays Noirs sont team T’Challa ou Nakia. Nous projetons l’antagonisme qui nous a été imposé en tant que minorité dans des espaces où les Noir- e-s sont la majorité, le point de référence, la norme. Il en découle qu’on voit T’Challa comme un laxiste naïf alors qu’en tant que roi d’un Etat où tout le monde est noir et où sûrement personne ne se pose de questions sur cela, les antagonismes se situent au niveau diplomatique de protection des intérêts de son État-Nation contre la prédation. Certains le font par les armes et le contrôle des corps, Wakanda a choisi de se cacher.
La question posée est celle de la solidarité et de la responsabilité dans le partage des ressources et du pouvoir.
Si la libération noire est indissociable de la libération des pays d’Afrique Noire et des Caraïbes, la libération des pays d’Afriques Noire dépasse largement la question noire.
La plupart des Noir-e-s vivant en Occident ne sacrifient quasi rien pour les pays Noirs
Les luttes sont tournées (et c’est légitime) vers l’amélioration de leur condition de vie dans les pays dans lesquels ils vivent, dont ils font partie. La plupart d’entre nous voulons des prêts immobiliers au même taux que les blancs, les mêmes études, le même emploi, le même salaire. On a le droit de réclamer l’égalité mais espérer que si des pays en majorité noire deviennent puissants, autonomes leur responsabilités seraient de mettre leur puissance à notre disposition pour qu’on obtienne réparation alors qu’on aurait majoritairement consenti à les laisser en ok.vu si on nous proposait en deal la fin du racisme… c’est un peu limite.
Il aurait été plus compréhensible de la part d’une personne venant d’un pays à majorité noire de faire cette demande.
Il y a des points évidents d’intérêts qui doivent être vus comme divergents, voire antagonistes entre les afro-descendantes/noir-e-s de la diapora et les noir-e-s vivant dans des pays en majorité noir-e-s. Nous (diaspora/afrodescendant-e-s) devons toujours garder en tête que même à la marge nous bénéficions de l’hégémonie occidentale.
(C’est l’enjeu du panafricanisme de comprendre notre destin commun mais différencié pour que nos intérêts communs soient une base pour le “Black Atlantic”)
La libération Noire est une proposition révolutionnaire de changement de système et de ce fait repenser le coût de la violence, le coût de la destruction des vies, des cultures et des liens entre Nous.
Conclusion : Nakia a raison
Protéger Wakanda et aider les siens
P.S: sur la phrase de fin sur le fait de mourir plutôt que la servitude. 1/Killmonger ne faisait pas face a la servitude, mais à la responsabilité de ses actes ( parmis lesquels : assassinat, complot, démarrer une guerre civile, projet de déclarer une guerre, destruction de lieux sacrés, intelligence avec l’ennemi, assassinat de son oncle.) Il serait bien de nuancer cette sur-heroïsation de personnes qui ont fait le choix de la mort plutôt que la servitude, en tant que descendante de personnes qui ont choisi de vivre, qui ont été dans la servitude mais dont la vie n’est pas moins une oeuvre de combat pour la race Noire. Car c’est en vie qu’ils ont mené des batailles ( parfois perdues) pour la liberté ou la mort – pour que nous nous relevions dans l’âme de ce qui fait le peuple Noir : survivre et vaincre. 🇭🇹
NOIRES D’ENCRE : Maboula Soumahoro et Josette Spartacus
Accueillis par la librairie la Brêche, les blogs Haitiano-Molotov et Mrs Roots s’associent pour Noir.e.s d’encres, discussion entre Josette Spartacus et Maboula Soumahoro. A l’occasion de la sortie du livre Négropolitude de Josette Spartacus.
“Négropolitude n.f. : fait d’être né de parents Noirs en pays Blanc. Être à la marge de là d’où l’on vient et de là où l’on naît.“
Quels sont les lieux qu’ils soient physiques ou imaginaires, les espaces tant politiques que personnels, que nous habitons en tant que noir.e.s, jusqu’où s’étend la marge et comment la façonne t-on ?
C’est autour de l’expérience noire en contexte occidentale que s’articulera cette conversation, à travers la littérature mais aussi une mise en perspective historique. Que
Cette discussion sera entre-coupée par la lecture d’extraits du livre par la comédienne Marie-Julie Chalu.
Maboula Soumahoro : Docteur en langues, culture et civilisation du monde anglophone, maître de conférences à Tours et Sciences Po Paris, son travail porte sur les diasporas noires, notamment afro-américaines. Elle est également la présidente de l’association Black History Month qui organise les journées Africana ( prochaine édition en mai prochain)
Josette Spartacus : Professeure d’anglais en activité, spécialiste de littérature anglophone, elle signe une thèse Stratégies de Survie, résultat d’une dizaine d’années consacrées aux littératures afro-américaine et afro-caribéenne. En 2016, elle sort son tout premier roman Négropolitude, aux Éditions L’Harmattan.